Du fait de la récence de la discipline, il est pour l’instant difficile de dire quels sont les effets à long terme du parkour sur le corps. On peut pourtant s’essayer à quelques réflexions à l’aide des éléments à notre portée.
A) Les premiers traceurs s’entrainent depuis plus de 20 ans, et ont passé la quarantaine. Pourtant, ils continuent de bouger aujourd’hui. Cela permet d’écarter au moins l'hypothèse des genoux finissant irrémédiablement en charpie que craignent certains.
B) Une première étude (Wanke et al, 2013) via des questionnaires montrait que contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le parkour cause peu de blessures sévères (5.5/1000h d’entrainement, dont 70% sont des abrasions de la peau…).
Une seconde étude (Da Rocha, 2014) réalisée sur des traceurs brésiliens présentait une prévalence de blessures de 61.5%, la majorité aux membres inférieurs. Ce chiffre peut sembler grand, jusqu’au moment où les chercheurs le comparent à la gymnastique (76.7%) ou les coureurs de loisir (79% sur seulement 6mois). Ils remarquent également que le taux de blessure diminue avec l’âge (l’hypothèse étant que les adultes prennent moins de risques) et peut être diminué en réduisant le temps d’entrainement à moins de 3h par session.
Ces études ne sont pas suffisantes pour établir des conclusions définitives. Il est en effet difficile de comparer les taux de blessures entre les études et entre les sports, en particulier via des questionnaires, puisque les critères pour déterminer ce qui est une blessure ou non diffèrent selon les sports, les individus et les protocoles. De plus, le parkour peut être pratiqué selon des modalités fort différentes : par exemple, certaines architectures peuvent présenter plus de possibilités de s’entrainer à des hauteurs du sol élevées, certains pratiquants s’entrainent seuls tandis que d’autres sont encadrés par des traceurs plus expérimentés, certains recherchent la performance quand d’autres privilégient la créativité ou le développement personnel, etc. Peut-on également faire ici une distinction entre freerunning et parkour ? Il est possible que le taux de blessures ou leur gravité diffère selon que le pratiquant effectue des rotations ou non (probabilité plus élevée d’atterrir sur autre chose que ses pieds ou avec des forces de rotation dangereuses pour les articulations…), en particulier si l’apprentissage se fait sans l’aide de matériel approprié (ce qui convient très bien au parkour, mais est fortement contre indiqué pour l’apprentissage d’un backflip par exemple). Il n’est pas clair si cette distinction est faite par les chercheurs ou par les pratiquants répondant à leurs questionnaires. Néanmoins, il ressort de ces études que les risques n’apparaissent pas affolants, les accidents n’étant ni graves ni fréquents.
Nous pouvons citer une troisième étude (Puddle, 2013), montrant que les techniques utilisées en parkour pour amortir les sauts, par rapport aux techniques enseignées traditionnellement dans les autres sports, permettent de diminuer les forces en jeu de 40%, et augmenter le temps (de 60%) jusqu’au pic maximal de force, ce qui pourrait permettre au système neuromusculaire de réagir plus efficacement.
Pour ce qui est des effets musculaires du parkour, une étude (Marchetti, 2012) comparant un groupe actif (des enseignants en éducation physique) et des traceurs a montré que les pratiquants du parkour avaient une force supérieure au groupe actif, et ce dans tous les domaines testés (tractions, force de préhension, pompes pliométriques, saut horizontal, sauts verticaux à un et deux pieds), sauf au niveau de la force de préhension, qui était identique dans les deux groupes.
Dans un autre genre d’étude, Paul Gilchrist et Belinda Wheaton (2011) concluent que le parkour est généralement vu dans le milieu académique comme un moyen relativement sécure pour les jeunes de faire l’expérience du risque et de l’aventure, et n’hésitent pas à le recommander pour la promotion de la santé physique et du bien-être.
C) On peut également s’intéresser à des activités similaires au parkour. Par ses multiples formes de saut, il est impossible de ne pas rapprocher le parkour des techniques d’entrainement en pliométrie (en bref, basées sur des mouvements avec un étirement rapide du muscle immédiatement suivi par sa contraction, et donc notamment des sauts). Or, la pliométrie apparait tout particulièrement intéressante pour réduire le risque de rupture du ligament croisé antérieur (Yoo et al, 2010) et pour les blessures du genou en général (Hewett et al, 1999). Jusqu’à preuve du contraire, et en l’absence de traumatisme, on peut imaginer que le parkour est également bénéfique pour la prévention des blessures du genou.
Mais qu’en est-il des hauts impacts ? Car s’il y a bien un terme qui correspond au parkour, c’est celui d’impact. Eh bien, il se trouve que les os se remodèlent en fonction des contraintes que l’on y applique. Ainsi, pour favoriser la densité minérale osseuse (qui permet de diminuer le risque de fracture), il est important de subir des impacts, torsions, étirements et compressions à des intensités plus élevées que dans les activités quotidiennes, ce qui semble tout à fait correspondre aux contraintes subies par un traceur. Les études se contredisent parfois sur la question de savoir si ce sont les impacts (Martyn-St James, 2009) ou les contractions musculaires (Stengel, 2005) qui sont la plus grande source d’augmentation de la densité osseuse. Du moins, toutes s’accordent pour dire que ce sont les exercices en puissance, avec une vitesse de contraction élevée, qui permettent les meilleures adaptations. Les os semblent ainsi répondre aux pics de forces, plutôt qu’à la somme totale de contraintes appliquées sur eux (Schoenau, 2002). Tout cela étant dit, on ne pourrait que recommander aux femmes de se mettre au parkour, ayant 4-6x plus de probabilité de subir une rupture du LCA (Hewett, 1999) ou d’autres blessures du genou, et ayant un plus grand risque d’ostéoporose que les hommes (Ralston, 2006). En tout cas, une pratique progressive du parkour, ménageant suffisamment de temps de repos, semble sous cet angle-là garantir un corps solide !
D) Il ne reste plus qu’à discuter de notre propre expérience du parkour. Contrairement à d’autres sports qui se focalisent sur des buts externes, le parkour est toujours concentré sur la qualité du mouvement en lui-même. La focalisation ne se fait pas sur le saut (tout le monde possède les capacités de se jeter dans le vide, la gravité faisant bien son travail) mais sur l’atterrissage. Il n’y a pas de facteurs externes tels que des limites de temps, des adversaires ou partenaires, un jury ou des figures imposées. Les facteurs environnementaux sont prévisibles (contrairement aux sports de montagne ou de mer, par exemple), pour autant que les traceurs vérifient la solidité et l’accroche des obstacles avant de se lancer dans des mouvements périlleux. Tout ou presque dépend donc des capacités du traceur et de ses prises de décision. Cela réduit les risques dans la majorité des situations, mais peut également être la cause d’accidents sur des mouvements anodins, qui trompent la vigilance du traceur croyant pouvoir tout maîtriser. Les prises de risque (risque d’échouer) doivent se prendre à des hauteurs proches du sol, là où le danger (de se blesser) est nul ou presque. Il convient également d’avoir un plan B, un moyen de réchappe, en cas d’échec. Ainsi, l’échec du mouvement tenté ne signifie pas obligatoirement une blessure. Il faut évidemment, comme pour toute activité physique, accepter quelques bleus et d’éventuelles coupures. Dans notre expérience, on voit que les traumatismes aux pieds ou chevilles sont courants, sans pour autant être fréquents. Mais les accidents sont très rares et ce sont principalement les blessures de fatigue et de surentrainement qui concernent les traceurs, généralement trop passionnés pour se reposer, et s’entrainant de manière non planifiée.
Nos recommandations seraient :
- S’initier en augmentant l’intensité des mouvements de manière très progressive, si possible avec des pratiquants expérimentés pouvant pointer les erreurs les plus dangereuses.
- Pour les plus jeunes, pratiquer avec des plus âgés pourrait peut-être permettre de modérer les ardeurs, et ainsi diminuer les risques.
- Évidemment, s'échauffer correctement, puis augmenter progressivement l'intensité des mouvements pratiqués au sein de la session.
- Suivant les recommandations de Da Rocha (2014), garder la durée des sessions en dessous de 3h. Éviter également de faire des pauses prolongées avant de se remettre à tracer, ou refaire un échauffement entre deux.
- Limiter le nombre de sessions à haute intensité durant la semaine. Le travail technique, l’équilibre, la pratique d’autres sports avec moins d’impacts (natation, musculation…) permettent d’être actif et de progresser en variant les contraintes placées sur l’organisme. Pour les pratiquants qui s’entrainent plus de 4x par semaine, une session en salle sur des tapis permet de travailler des mouvements sans ajouter de trop grands impacts.
- S’entrainer régulièrement, et majoritairement en extérieur. Le corps a besoin d’un minimum de contraintes pour s’adapter, et il est risqué de s’entrainer exclusivement en intérieur, puis d’effectuer des sorties irrégulières sur du béton, alors que le corps n’y est pas habitué. De même, s’entrainer de manière sporadique risque de causer des blessures, puisque le corps alternera périodes de désentrainement et périodes de stress intense. Il vaut mieux pratiquer un peu tous les jours (avec 1-3 jours de repos dans la semaine) que de pratiquer quelques grosses sessions irrégulièrement.
- Utiliser des chaussures appropriées, qui permettent une bonne proprioception et ne maintiennent pas la cheville. Pratiquer régulièrement des exercices améliorant la stabilité de la cheville si les foulures sont récurrentes.
Cela étant dit, il nous est impossible de ne pas conseiller à quiconque s’intéresse un tant soit peu au parkour de s’y initier ! Si les effets sur le corps, bien que semblant positifs, sont encore incertains, les effets sur la confiance en soi, le bien-être et la bonne humeur se voient à chaque entrainement !
Sources:
- Wanke, E. M., et al. "[Parkour--" art of movement" and its injury risk]." Sportverletzung Sportschaden: Organ der Gesellschaft fur Orthopadisch-Traumatologische Sportmedizin 27.3 (2013): 169-176.
- Da Rocha, Jaime Aparecido, et al. "Prevalence and risk factors of musculoskeletal injuries in parkour." Age (years) 19: 4-6.
- Puddle, Damien L., and Peter S. Maulder. "Ground reaction forces and loading rates associated with parkour and traditional drop landing techniques." Journal of sports science & medicine 12.1 (2013): 122.
- Marchetti, Paulo Henrique, et al. "Differences in Muscular Performance between Practitioners and Non Practitioners of Parkour." International Journal of Sports Science 2.4 (2012): 36-41.
- Gilchrist, Paul, and Belinda Wheaton. "Lifestyle sport, public policy and youth engagement: Examining the emergence of parkour." International journal of sport policy and politics 3.1 (2011): 109-131.
- Yoo, Jae Ho, et al. "A meta-analysis of the effect of neuromuscular training on the prevention of the anterior cruciate ligament injury in female athletes." Knee surgery, sports traumatology, arthroscopy 18.6 (2010): 824-830.
- Hewett, Timothy E., et al. "The effect of neuromuscular training on the incidence of knee injury in female athletes a prospective study." The American journal of sports medicine 27.6 (1999): 699-706.
- Martyn-St James, Marrissa, and Sean Carroll. "Effects of different impact exercise modalities on bone mineral density in premenopausal women: a meta-analysis." Journal of bone and mineral metabolism 28.3 (2010): 251-267.
- Stengel, S. V., et al. "Power training is more effective than strength training for maintaining bone mineral density in postmenopausal women." Journal of Applied Physiology 99.1 (2005): 181-188.
- Schoenau, E., and H. M. Frost. "The" muscle-bone unit" in children and adolescents." Calcified tissue international 70.5 (2002): 405-407.
- Ralston, Stuart H., and Benoit de Crombrugghe. "Genetic regulation of bone mass and susceptibility to osteoporosis." Genes & development 20.18 (2006): 2492-2506.