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Manifeste pour que le parkour reste une alternative

Le parkour est une discipline en pleine sportification : développement d’institutions en dehors et au-dessus du jeu ; commercialisation ; mise en compétition ; quantification de la performance ; régulation ; standardisation ; création de lieux de pratique artificiels, fonctionnellement dédiés séparés des espaces du quotidien ; abstraction et codification des techniques corporelles, développement de formations spécifiques, autonomisation du jeu par rapport aux origines utilitaires du parkour…

Ce manifeste veut revendiquer un autre parkour. Pas nécessairement celui des « origines », mais celui qui est cher à nos yeux, qui a transformé nos vies et a le potentiel de transformer celles d’autrui. Celui qui est vécu comme une alternative au modèle sportif dominant. Celui qui nous parait unique. Celui qui nous fait dire : le parkour n’est pas, et ne deviendra jamais comme les autres sports. Et pourtant…

Le but n’est pas de rallier tout le monde, mais de réaffirmer la pratique en laquelle on croit. Libre aux autres de suivre un autre chemin. Peuvent-ils pour autant continuer de parler d’une discipline « urbaine », « alternative », « non-compétitive », « utilitaire » ?

Pour ce qui est de la FIG (Fédération Internationale de Gymnastique) : ils ont fait leur choix. Celui du sport, celui de la compétition, celui des structures artificielles. Il ne s’agit pas d’essayer de les concurrencer sur leur terrain, mais de proposer une alternative radicale, de défendre notre cœur de métier, de miser sur l’authenticité de notre pratique.

Quel parkour défend-on, fondamentalement ?

Le parkour s’apprend et se pratique en extérieur, sur des structures non dédiées, via la réappropriation de structures « qui ne sont pas faites pour ça à la base », et vise à faire un usage ludique, créatif voire subversif de l’espace public. Il est possible de pratiquer ponctuellement sur des structures artificielles, mais celui dont la pratique se réduit à cela a raté l’essentiel.

La pratique en extérieur exige des compétences et connaissances spécifiques, qui ne s’apprennent pas sur les structures artificielles et en intérieur. Toute personne ou organisation qui dit promouvoir le parkour tout en privilégiant les salles et parks doit donner aux traceurs les moyens de pratiquer en extérieur, et s’ils ont appris en intérieur, assurer leur transition vers l’extérieur. Le contraire au mieux ne fait pas la promotion du parkour, au pire est totalement irresponsable.

Les traceurs expérimentés ont un savoir-faire qui ne peut pas s’acquérir différemment que par la pratique du parkour. D’autres experts peuvent avoir des apports non négligeables dans leurs domaines, mais il leur manquera toujours quelque chose pour enseigner le parkour. Et le parkour doit valoriser également l’apprentissage informel, l’auto-apprentissage et l’apprentissage collaboratif sur lesquels il repose. Les traceurs n’ont pas besoin du paternalisme des experts, des adultes et des profs pour apprendre et se développer.

Le parkour doit être non compétitif, privilégier l’altruisme et la coopération plutôt que la mise en spectacle de l’affrontement d’individus. Le parkour doit inciter à progresser individuellement, à avoir des buts de maîtrise, un désir d’apprendre et de développer ses compétences, plutôt qu’à chercher à s’affirmer et à surpasser autrui. Le parkour doit être une pratique communautaire et inclusive, viser la mixité sociale, plutôt que de devenir une pratique sportive hiérarchique et élitiste. Pour être utilitaire, le parkour doit encourager à se confronter aux obstacles plutôt que de chercher à les éviter, que ceux-ci soient les obstacles matériels, la météo défavorable, le regard du public ou la présence policière… Le parkour doit encourager les traceurs à se respecter eux-mêmes, à respecter autrui, et à respecter leur environnement. Atteindre ces buts ne va pas de soi, et nécessite un véritable engagement. Les moyens sont divers, aux traceurs de les découvrir, de les développer et de les mobiliser.

Le parkour n’est pas un sport. C’est une culture comportant des valeurs, une histoire et des techniques corporelles propres ; c’est une méthode d’entraînement, bien plus proche de l’éducation physique au sens noble que du sport de performance. Le parkour n’a pas besoin de singer les sports et d’être reconnu par les institutions sportives. Si besoin est, des ressources peuvent être obtenues auprès de sponsors, de fondations, d’aides et soutiens aux activités culturelles. Quitte à devoir se battre un peu pour que le système s'adapte au parkour plutôt que de l'assimiler.

Les structures institutionnelles formelles (associations, fédérations…) ont leur utilité, pour autant qu’elles aient un minimum de fonctionnement démocratique, de transparence, de légitimité et d’autonomie. Mais il s’agit de ne pas oublier que le parkour s’organise avant tout en réseau. Sites web, forums, réseaux sociaux, plateformes d’hébergement de vidéos et autres TIC doivent être mobilisées pour rassembler la communauté des traceurs. Contrairement aux structures hiérarchiques fédérales, cette solution permet l’adhésion volontaire et gratuite, un moindre effort d’organisation et de gestion des effectifs.

Si la plupart de ces éléments sont absents, peut-on encore parler de parkour ? Qu’est-ce qui le différencie alors des autres pratiques, de la gymnastique ou de l’athlétisme ? Rien, sinon l'illusion de la différence.

Yann Daout

(Si vous souhaitez être signataires, commentez-ci dessous ou contactez-moi. Vous avez le droit de reproduire et modifier ce texte, saisissez-vous en ! La traduction anglais peut être lue ici)